Sexualité et traumatisme crânien

Origine : 1er 2001 | En ligne : 17 décembre 2009 par Soulier B.

Sexualité et traumatisme crânien

Texte(s) extrait(s) de : Un amour comme tant d’autres ? Handicaps moteurs et sexualité. Dr B. Soulier. Ed. APF 2001,Chapitre XIV : Questions spécifiques à certains handicaps

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1. Généralités 2. Sexualité et rôle du cerveau 3. Retentissement dans le couple 4. Retentissement sur la vie sexuelle 5. Que peut-on faire en thérapie ?

1. GENERALITES

“Il y a dans notre pays plus de 100 000 personnes traumatisées crâniennes présentant des séquelles graves” (P. Gros, 1996). Plus de la moitié proviennent d’un accident de la circulation et 75 % des blessés ont moins de vingt-neuf ans lors de l’accident. La lacune la plus cruellement ressentie est en général constituée par des troubles de la mémoire immédiate. La personne fait une action et ne se souvient plus quelques minutes après si elle l’a fait (elle peut se doucher dix fois dans la journée). Antoine explique, lors d’une table ronde (APF, 1998) : “Mon principal problème est la mémoire. En rentrant de l’hôpital, j’avais besoin, pour faire ma toilette, d’une feuille affichée dans ma salle de bain avec quelques mots, se raser, uriner, se laver les dents…”

La personne traumatisée crânienne peut avoir une héminégligence ou une hémiplégie. Souvent elle n’a plus d’esprit d’initiative, ne peut plus organiser, programmer dans le temps, prendre des décisions, choisir. Elle peut avoir des troubles de l’attention, de la concentration, du langage, ne plus savoir écrire ou lire. Une sensation caractéristique fréquente est celle de se sentir dans un monde étrange, qu’elle ne reconnaît plus, où même son corps lui paraît étrange, comme s’il ne lui appartenait pas, comme si ce n’était pas elle qui était là. “La personne éprouve un sentiment de malaise et de bizarrerie devant un être pourtant familier et parfaitement connu : soi-même” (Y. Fradet-Vallée, 1998). Parfois, des pertes d’équilibre, des chutes ou des tremblements sont très gênants. Enfin, cette personne se rend compte qu’elle n’est plus la même, ce qui engendre une perte de confiance en soi et souvent un état dépressif chronique ou, à l’inverse, la personne se surestime. Elle ne sait plus s’orienter dans le temps et dans l’espace, elle se perd sans cesse. L’angoisse ou du moins l’anxiété est presque toujours présente. Dans le domaine affectif, les troubles du comportement sont fréquents : instabilité émotionnelle ou, à l’inverse, impassibilité anormale, irritabilité avec des sautes d’humeur, inhibition ou désinhibition.Y. Fradet-Vallée (1998) explique que la régression affective est fréquente. C’est la tendance à avoir recours à des modalités de fonctionnement psychique qui prédominent habituellement à des stades antérieurs du développement, dans l’enfance. Elle se manifeste par la dépendance affective, l’égocentrisme, l’intolérance à la frustration, responsable de réactions agressives envers l’extérieur ou tournées contre soi-même.

2. SEXUALITE ET CERVEAU

“Les lésions cérébrales interfèrent sur les mécanismes de libido et d’initiative comme sur le retentissement émotionnel, le plaisir et la satisfaction sexuelle” (J.-F. Mathé et al., 1996). Les hormones sexuelles de l’homme et de la femme sont régulées au niveau cérébral. C’est pourquoi le dosage sanguin de ces hormones aura lieu systématiquement après un traumatisme crânien. Les hormones interviennent bien entendu dans la sexualité mais il ne faut pas oublier non plus les facteurs psychologiques, sociaux et affectifs. "On sait que les eunuques peuvent avoir des érections, tout comme les enfants prépubères et les sujets hypogonadiques. La castration ne supprime pas obligatoirement l’activité sexuelle (P. Bondil et al., 1992). La totalité du cerveau a pu être découpée en différentes zones anatomiques responsables chacune, si on les stimule ou inhibe, de réactions sexuelles bien spécifiques (hypo ou hypersexualité, motivation, plaisir, orgasme, réflexes périnéaux, comportement relationnel…). Mais, lors d’un traumatisme crânien, il est pratiquement impossible de faire l’inventaire anatomique des lésions. On s’attachera essentiellement à évaluer ce que la personne est devenue pour entamer un processus thérapeutique avec elle. “L’arc réflexe sexuel passe par la moelle sacrée, le cortex ne jouant qu’un rôle inhibiteur ou facilitateur […]. Le partenaire se retrouve devant un individu soit hypersexuel, tyrannique, soit au contraire apathique, indifférent, ne répondant pas à la demande. Les deux situations peuvent d’ailleurs se suivre dans un intervalle de temps très court” (B. Leriche et al., 1981) M. Perrigot (1997) explique que l’hypersexualité provient de la perte du contrôle social des conduites entrant dans le cadre du syndrome frontal. J. S.Kreutzler et al. (1989) signalent qu’on observe “dans la moitié des cas, une diminution des conduites sexuelles, de la durée des préliminaires, de la fréquence des rapports et une réduction des capacités érectiles”.

3. RETENTISSEMENT DANS LE COUPLE

Les conjoints vivent péniblement le fait de ne plus retrouver leur partenaire d’antan. C’est comme si on l’avait changé contre quelqu’un d’autre. “Ce n’est plus le(la) même.” La personne est objectivement différente, incapable de redevenir ce qu’elle était et consciente de la perte de ses capacités. Henri, traumatisé crânien depuis douze ans, raconte : “J’avais un bon boulot et je dois dire que j’ai de la chance, je suis bien pensionné. Cinq ans après l’accident, ma femme m’a dit que j’étais tellement différent de l’homme qu’elle avait connu, qu’il faudrait qu’on se sépare. […]. De temps en temps, je vois les enfants” (APF, 1998). Ne plus être comme avant et s’en rendre compte, ne plus se souvenir, oublier tout ce qui a été fait quelques temps auparavant, se perdre, ne plus savoir si on a fait l’amour dans la journée sont des situations angoissantes et déprimantes. L’aide d’un thérapeute est décisive pour aider l’individu à ne pas sombrer et à s’adapter à son nouveau personnage.

Parfois, expliquent B. Leriche et al. (1981), il arrive que le traumatisé crânien oublie des parties entières de sa vie antérieure et ne se souvienne pas de sa partenaire. “Au contraire, il peut ne se rappeler que d’une personne très ancienne ayant marqué sa vie affective. Il va alors négliger complètement le conjoint actuel et souvent ne parlera que de sa vie antérieure. Il faudra que l’équipe explique à la famille les réactions du patient et ceci nécessite beaucoup de compréhension pour accepter la situation.” L’aide d’un thérapeute est fondamentale pour le couple et souvent même pour la famille. Physiquement, il existe souvent des séquelles orthopédiques, neurologiques, une hémiplégie, une limitation articulaire, qui vont gêner physiquement et psychologiquement l’acte sexuel… Psychologiquement, il existe une difficulté pour le traumatisé crânien à “investir” l’autre, à “se penser”, à s’envisager avec l’autre valide dans l’acte sexuel ou la vie amoureuse (M. de Jouvencel et al., 1998). Quand il est conscient de ses séquelles psychologiques ou motrices, il aura une perte de confiance en lui, en ses capacités, ce qui entrave la relation du couple. En général, le(la) conjoint(e) va se retrouver désorienté(e) devant un partenaire sans mémoire et sans désir ni initiative, qui ne va plus répondre aux demandes sexuelles. Parfois ce sera l’inverse, le conjoint ne saura quelle attitude avoir face à son conjoint hyperactif sexuellement, sans inhibition et aux propos souvent grossiers. Un autre problème peut se greffer dans la vie du couple : l’intrusion, souvent nécessaire, des parents de la personne traumatisée, dans le quotidien du couple. Elle devra être gérée pour ne pas conduire à la destruction du couple. “Il y a souvent réintroduction des parents du blessé dans la vie du couple, perte de l’intimité de ce couple […], ce qui éloigne le conjoint d’une relation de couple vraie” (M. de Jouvencel et al., 1998). Quand le parent est traumatisé crânien, la relation entre le parent traumatisé et ses enfants ne doit pas être rompue. C’est un besoin nécessaire pour les deux, même s’il y a divorce des parents ou si le parent traumatisé vit désormais en institution.

4. RETENTISSEMENT SUR LA VIE SEXUELLE

La personnalité étant totalement bouleversée, le retentissement sexuel est indéniable mais il ne gêne pas la vie sociale en institution : “dans les établissements l’ensemble des règles tacites, établies collectivement, est respecté” (J.-F. Mathé, 1996). À la phase d’éveil, “la majorité des blessés se comporte dans un contexte d’apathie avec peu ou pas d’initiative […] tandis que d’autres ont des comportements de désinhibition avec activité masturbatoire, propos grossiers et conduites entreprenantes vis-à-vis des personnes de sexe opposé. Ces conduites instinctives, archaïques, ne laissent aucun souvenir chez des patients en période d’amnésie post-traumatique” (J.-F. Mathé et al.,1996). Plus tard, “la différence entre la sexualité avant et après le traumatisme est un point à retenir” (J.-F. Mathé et al., 1996). En général (Zasler et al., 1989 ; Kreutzer et al., 1989), il semble y avoir perte du désir, perte de l’intérêt sexuel (perte de l’envie de séduire), trouble de l’orgasme, impuissance ou éjaculation précoce chez l’homme. Parfois, la libido est augmentée. La personne est sans inhibition (atteinte de la zone frontale du cerveau), toujours prête à solliciter l’autre pour un acte sexuel ou, à défaut, à se masturber. Les troubles de la mémoire sont aussi mis en jeu. La personne ne se souvient plus si elle a eu un rapport récemment ou pas… Elle est toujours prête à recommencer. “L’exacerbation de la libido est également signalée lors de maladie de Parkinson, d’épilepsie temporale, de tumeur frontale, de traumatisés crâniens à la phase d’éveil. À noter que ces faits sont toujours pathologiques, et que le problème de l’organicité ne se pose pas” (M. Perrigot, 1997). “Le plus dur, c’est l’absence d’inhibition : Frédéric ne connaît plus ni frein, ni interdit. S’il apercevait une jolie fille, il se levait pour aller l’embrasser. Je le suivais en le suppliant d’arrêter. Il m’injuriait alors copieusement” (A.-M. Bodson, 1999).

5. QUE PEUT-ON FAIRE EN THERAPIE ?

Qu’il y ait augmentation ou, plus fréquemment, diminution de la libido, une thérapie de soutien des deux partenaires, individuellement et en couple, est indispensable pour rassembler les morceaux de vie épars, pour retrouver une confiance en soi nécessaire pour continuer son chemin, pour supporter d’être mis à l’écart de la société en perdant son travail, et pour se frayer une nouvelle place au quotidien. Le fait de verbaliser la souffrance, de mettre à plat les problèmes, permet de se construire, d’être plus lucide par rapport aux événements, de prendre du recul et d’entrevoir des solutions. Pour les personnes unies, il n’est pas donné de faire tenir le couple dans cette épreuve, tellement l’autre est "autre". J. François et al. (1996) notent que "les femmes de traumatisés crâniens éprouveraient comme un dégoût d’avoir un rapport sexuel avec une personne devenue tellement différente". La thérapie doit être axée sur le fait que l’un des conjoints n’est plus le même et que le conjoint valide évolue facilement dans le sens de l’amoindrissement jusqu’à la disparition de l’état amoureux. Les deux partenaires du couple doivent se redécouvrir, autant l’un que l’autre, physiquement et mentalement. On les aidera à changer leurs anciens projets, pour recommencer à construire un nouveau couple, avec d’autres objectifs et d’autres rêves. On axera la thérapie sur les contrats de couple, avec découverte des qualités de l’autre que chacun doit rapporter à la séance suivante. On insistera sur le rappel des souvenirs par la narration, par les photos, par un déplacement sur des lieux de passé commun. On favorisera les jeux avec les enfants (cartes, dames) et la construction d’un nouveau passé fait d’événements heureux. Le thérapeute aidera le couple à ne pas se faire "dévorer" par la présence excessive des parents du blessé même si leur aide est utile, et parfois même indispensable. Il est nécessaire de laisser le couple vivre des moments et des journées d’intimité. Il faudra également prendre garde à lutter contre la réaction spontanée du traumatisé à s’installer en situation de dépendance, et celle de son conjoint à n’exister dans le couple qu’en terme d’aide et de protection. Parfois, cependant certains couples vont se trouver bien et rester dans le fonctionnement fusionnel spontanément mis en place après le traumatisme : "le ou la partenaire du traumatisé apportant toute l’attention attendue par le blessé et celui-ci, en retour, développant tous les efforts nécessaires pour satisfaire aux attentes de l’autre" (M. de Jouvencel et al., 1998).

Sexuellement, la perte du désir peut s’inscrire, les premiers temps, dans la régression normale qui devrait disparaître en un ou deux ans. On demandera au couple de faire des exercices corporels spécifiques pour se redécouvrir et redécouvrir le corps de l’autre, en considérant l’homme comme atteint d’impuissance ou d’éjaculation précoce, la femme comme ayant perdu le désir sexuel et parfois la possibilité d’orgasme. On prendra bien en compte cette perte du désir et cet "oubli" de son corps, dont le traumatisé ne sait plus trop à quoi il sert et comment s’en servir. Concernant les personnes traumatisées en excès d’activité sexuelle, on peut s’aider d’un calendrier et, ensemble, planifier les relations sexuelles en posant arbitrairement, par exemple, la décision de faire l’amour pas plus d’une fois par… en fonction de divers paramètres dont l’âge, le temps de vie commune, le désir et la logique propre à chaque couple. Le rapport sexuel sera noté sur le calendrier et la fréquence sera respectée. Si la demande sexuelle ne peut être canalisée, on envisagera de faire chambre à part. Il sera important de dépasser les déficiences physiques, en favorisant la recherche de certaines positions, et en conseillant de s’aider de coussins pour s’installer confortablement lors du rapport sexuel. On favorisera tout ce qui est participation à un atelier d’art-thérapie ou à une activité de loisir, à la fois pour améliorer les possibilités cérébrales, mais également pour la mise en relation avec d’autres personnes. Une bonne insertion sociale a une répercussion positive sur la vie sexuelle et affective. J’ai rencontré un couple dont l’homme a des séquelles de traumatisme crânien, ils se sont rencontrés en institution. Elle est atteinte d’infirmité motrice cérébrale (IMC). Ils ont chacun pris l’autre tel qu’il était avec ses failles, sans chercher à le changer. Depuis huit ans, ils vivent ensemble, en institution, dans une chambre avec un grand lit et ils sont très amoureux. Juste un petit hic, "ce qui m’énerve un peu en lui, c’est qu’il faut lui répéter cinquante fois la même chose, sinon, qu’est-ce qu’il me fait rire, il raconte toujours des blagues et il me comprend si bien !"


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Marcel Nuss

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